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Photo du rédacteurbenjaminvedrines

UBAYE ; 79 au patin, 12h à 53, 5°

Nous nous retrouvons avec Nico à l'église excentrée de Maljasset, village du bout du monde. Ce matin du jeudi 20 mai, nous nous apprêtons à vivre l'une des plus exceptionnelles journées que l'on ait vécu. Nous partons avec l'objectif de concrétiser un projet de Nicolas sur et autour de la plus haute montagne du massif, l'Aiguille de Chambeyron, à 3412 mètres.

Sur le papier : Enchaîner la face Nord de l'Aiguille (5.4), sa face Sud (5.3), le couloir Nord du Brec de Chambeyron (5.3), le couloir Nord direct de la pointe de Chauvet (5.2) et finir par le couloir Jean Coste (5.2), une belle ligne entre l'Aiguille de Chillol de celle de Chambeyron.

La face Nord de l'Aiguille de Chambeyron

La partie haute en détail

La face Sud de l'Aiguille de Chambeyron

Le couloir Nord du Brec de Chambeyron

La face nord de la Pointe de Chauvet

Le couloir Jean Coste entre l'Aiguille de Chambeyron à gauche et l'Aiguille de Chillol à droite

Bon, au début on ne partait pas totalement pour ça. On s'était dit qu'on allait faire les quatre faces de l'Aiguille de Chambeyron, la face nord-Est, la face Sud, la face Ouest et la face Nord. Ça faisait moins de dénivelé que le projet initial. C'était plus adapté pour ma forme avec les bornes à vélo des jours précédents, et puis mes pieds, mes petits pieds qui souffrent dans ces nouveaux chaussons bien trop petits, ils en seraient tellement reconnaissants.


Il n'empêche qu'il est 5h15 et Nico au volant de son bolide ubayen dérape devant le camion. Un rapide check des affaires et on commence l'approche. Certains parait-il roulent jusqu'en haut de la route forestière. Une aventure comme celle que nous tentons mérite un départ ecclésiastique. Les croyants seront flattés.

La nuit est fraîche, sacrément fraîche pour un 20 mai. Ce mois sera sûrement un record de froid. Le jour se lève et nous troquons nos baskets pour les coques plastiques. Nous laissons sur notre gauche la bergerie Supérieure de Mary, pour s'immerger dans le vallon de Marinet. La face se dévoile, elle est magnifique. On regrette de ne pas être au sommet à ce moment-là. Le rose vif du lever du jour aurait été magique. Mais la neige doit revenir à minima pour éviter que les carres crissent trop fort. Le plaisir est gage de longévité.

On se croirait en automne !

Elle n'est pas toute proche...

L'approche est contrastée

Elle brille ! Les faces sont plâtrées, surtout en Nord-Est

La remontée de cette belle ligne skiée pour la première fois en 2013 par le frère de Nico, Olivier Jean, accompagné de Wadeck Gorak, fort freerideur, se fait sur les chapeaux de roue. Nico trace devant comme un avion de chasse. Comme la dernière fois, les piolets ne serviront pas. Je le rattrape et, au niveau du deuxième passage clé, mes pointes avants glissent sur le rocher dalleux, et mon crampon de gauche se défait. Misère. Je me retrouve piégé avec pour seul appui les deux pauvres pointes acier de mon crampon droit sur ce fameux marbre rose, typique du coin, dont Nico n'a cessé d'en faire l'éloge jusque-là. Il est beau certes, mais lisse comme un cul !

Nico à la trace pendant que j'applique de la crème, il oubliera d'en mettre... Face d'écrevisse sera plus tard son surnom!!!

La congère verticale

En direction de la dernière section, avant l'incident du crampon...

Je stoppe toute manipulation et Nico m'envoie un petit bout de corde. Le baudrier toujours en place « au cas où », servira au moins à ça ! Ça faisait bien longtemps que je n'avais pas ressenti cette sensation de vulnérabilité. Une erreur de ma part, le crampon en question n'était pas suffisamment bien réglé sur ces chaussures... trop petites !


J'étais venu faire cette descente dix jours auparavant avec Olivier Reynaut, un client fidèle et talentueux. Nous avions terminé plus haut que la descente originelle en empruntant un passage plus facile à skier mais plus raide. Un petit passage mixte suivi d'une rampe suspendue très raide, surmontant la brèche d'une dizaine de mètres, avec une petite plate-forme pour chausser.


Avec Nico nous faisons la même, avec l'envie de taper LE virage qui claque, celui dont on rêve parfois dans nos nuits masochistes sous la couette. Et oui, la dernière fois, les cailloux étaient trop proches et la conversion s'imposait. Ce pivotement est obligatoire pour se mettre dans le bon sens pour la suite.


Arrivés en haut nous nous faisons cueillir par ce vent de nord glaçant. Toute cette ambiance rajoute du piment à cette descente déjà fort salée qui nous attends. Je démarre. Les conditions sont meilleures que 10 jours auparavant mais notre passage précédent a laissé des traces dans la rampe suspendue inclinée à plus de 55°. La neige est durcie à la base et boursouflée aux extrémités, mais ça passe bien.

Arrivée

La rampe

Malgré les apparences, c'est plus agréable qu'à pied !

J'arrive enfin sur ce carré de neige qui me captive. Cette fois la neige est assez ferme et épaisse pour tenter LE virage mythique sans cogner un requin en réception, être déséquilibré et partir en soleil à quelques mètres des barres et, c'est certain, une chute longue, très longue... Non, mais une erreur technique pourrait malgré tout m'amener à la même finalité. Concentration, et confiance. Je stabilise mon ski aval en espérant ne pas tomber sur de la roche. Je teste la place avec mon ski amont, la roche est là mais en levant bien les talons, çà fait. Les deux bâtons sont solidement appuyés pour me permettre cette élévation et ce saut qu'impose les 55 degrés. Allez, flexion, extension associée à cette petite extension des triceps, et hop, t'es en l'air, tu voles, la neige file sur ta figure. T'es petit, mais le geste est grand pour toi. Tu réceptionnes, skis parallèles avec une belle fente comme d'hab, tout s'arrête. T'exultes et tu cris de joie, une joie suspendue et éphémère. Une intensité qui t'inhibe de toute tension mentale. Un calme, un shoot. Un seul mais quel shoot.


Nico avant le saut

Une belle exécution à son tour !


Le petit passage de mixte est une formalité et celui du marbre rose un peu moins. On est content de n'être que deux, tant nos traces modifient radicalement les passages. Les dégarnissant. Pour autant, les conditions sont quasi optimales, une neige poudreuse meuble d'une dizaine de centimètres. Nous gaffons des sluffs que provoquent ces fameux dix centimètres euphorisants, mais on profite.

La barre finale avant la pente plus cool nous demandera d’exécuter un petit "tout droit des familles", chose qui nous sépare Nico et moi. Respectivement, l'un adore, l'autre déteste...

Dans la partie lisse comme un cul, pas évidente avec un marbre rose très proche

Le passage de l'éperon

La pente qui suit est comme prévue, idéale et nous pensons à Wadeck qui fit un run typé Freeride World Tour dans cette section. On se contera de notre niveau de pente "raidiste" somme toute classique, avec une succession de virages fermés, avec des faces-à-la-pente plutôt courts !

Dans la pente médiane

Proche de la fin...

Ce n’est pas fini, c'est même plutôt le début de la journée, il n'est que 8h30. Les affaires récupérées, on file vers le Jean Coste. Celui-ci nous mène à un col entre les deux Aiguilles. On remonte derrière la face Ouest puis, par des couloirs et des rampes de neige, nous débouchons dans la face Sud. Et quelques minutes plus tard, au sommet de l'Aiguille de Chambeyron. Nous chaussons au sommet. Le vent a faibli. La vue est limpide et l'horizon lointain. On voit tout, le Mont Rose, le Mont Argentera, la grosse bosse Blanche, le Grand Paradis, les Écrins...

Ce départ sommital nous obligera à nouveau à un tout droit pour passer la fameuse « cheminée en 3 » dont Nicolas m'avait parlé à la montée. Moi qui pensais galérer à la grimper, nous voilà en train d'y glisser dessus. Content que ce soit court. La face Sud n'est pas si laide que ce que je pensais en l'ayant repérée la veille avec Anne lors du tour du Brec de Chambeyron. En fait elle est même plutôt très sympa, esthétique et louvoyante. Les parties skiantes sont plus longues qu'espéré.

Du haut du Jean Coste, une vue sur la suite de l'itinéraire

A droite la cheminée sommitale

Le Brec de Chambeyron

Sommet !

On chausse de là-haut

Nico au paradis dans son massif préféré

Face au vallon de Chauvet

Quel sens faut être ?

Le vallon de Longet, le Viso

Le Viso

Les écrins

Dans la face Sud

Dans la face Sud

Dans la face Sud

Dans la face Sud

Dans la face Sud

Dans la face Sud avant le ressaut

Arrivés au ressaut de glace, nous avons un doute sur la longueur de corde. Les infos en Ubaye sont tellement infimes que même Nico, qui connait pourtant l'ouvreur de cette ligne, Julien Savy, n'a pas en sa possession l'info qui aurait pu nous être confortable. Qu'à cela ne tienne on fera avec les moyens du bord, on raboute tout ce qu'on a, l'Escaper bien attaché. Nico descend dans l'inconnu. Ça passe ! Tout pile. Du coup c'est trente mètres pour les prochains !!!


Rappel

Après le rappel

A ce moment-là, on savait que le Brec serait notre prochain but tant son allure est attractive. Le couloir Nord est historique, la première descente est quand même le fruit d'une frustration professionnelle, d'un guide exaspéré par le rythme de ses clients, et qui voulait se défouler après l'arrivée au refuge. Sacrée histoire !

Dans ce couloir la neige a été chahutée. Orienté de la même manière que tout ce que nous avons remonté ou descendu en Nord jusque-là, mais à priori bien plus exposé aux vents d'Ouest et Nord-Ouest. Mais le grip est bon, c'est l'essentiel. On distingue par endroit les traces des prétendants de la semaine d'avant qui firent demi-tour avant le goulet final, sous la corniche. Cette corniche, qui me faisait froid dans le dos en voyant les photos aériennes de ces derniers, ne me fit pas autant d'émotions une fois à son pied. Elle est finalement énorme, imposante, mais pas si terrifiante. Et puis, surtout, une rampe orientée Nord-Est permet aisément de s'extraire de ce goulet austère pour parvenir à un monde moins penché, le plateau sommital du Brec de Chambeyron.

Sous la corniche

Sortie sur le plateau

Le calme

Sommet

Un enneigement très bon ! Presque comme en 2013

Côté Italien

Idem

Croix et Viso

Nos bouilles


Moment d'émotions, depuis le temps qu'il m'inspire quand, sur la route du col de Vars, je peinais en danseuse et qu'un coin de mon œil observais cette masse bizarroïde sortie d'une galerie d'art contemporain. Enfin j'y suis ! Çà donnerais presque plus envie de décoller en parapente que de s'envoyer les carres dans de la neige dure à 55 degrés. Quelle idée!!


Après quelques virages décontractés, place à l'entrée spectaculaire du couloir Nord. La neige à réchauffée, on prend nos précautions, on pense à nos collègues accidentés ces derniers temps. Le « un par un » s'impose. Les virages s’enchaînent et les sastrugis ne nous gênent pas autant qu'imaginé. La ligne est logique, encaissée et invite le skieur à laisser sa trace sur ce sommet emblématique de l'Ubaye.

Les virages cools

L'entrée du couloir

Les premiers mètres bien raides

Un peu d'escalier

Avant les virages !

La suite

Nous devons maintenant faire le plein d'eau avant la remontée à la Pointe de Chauvet, l'avant dernière ascension. Nous nous laissons glisser jusqu'au Lac Rond pour se ravitailler en eau, histoire d'éviter les crampes ! On est bien pour le moment, ça sent bon la suite. On discute de tout et de rien autour de ce petit point d'eau, le temps passe et ce mois de mai nous en fait voir de toutes les couleurs. On se dit que c'est trop bon ces journées. Mais quand même, on est bientôt en milieu d'après-midi, va falloir y aller !


On arrive à remonter ce versant Ouest, continuellement décapé par les vents violents dixit le local. Le manteau neigeux, quasiment inexistant, ne nous apporte que peu de frissons concernant l'instabilité. Ce ne sera pas le cas de tous les massifs ce jour-là malheureusement...

Notre point d'eau et de discussion

Remontée à Chauvet

Nico trouve la brèche !

La Font Sancte

Sommet atteint, il faut trouver le départ de cette ligne suspendue. La première brèche sera la bonne. On prévient les copines que le retour sera plus long que prévu. Les quatre faces s'étant transformées en enchaînement de rêve... Un petit doute quand même, l'itinéraire étant totalement suspendu au-dessus des barres. Le début est en neige ferme, avec une rive droite obligatoire mais sacrément raidit par une congère en embonpoint. Le reste de cette pente est en top conditions, et la perte de dénivelé ne cesse de nous confirmer la bonne faisabilité du reste de l'itinéraire, ça passe !

Cette face Nord de Chauvet nous aura plus secoué que ce que nous pensions, on la recotera à 5.2 ! La dernière montée est finalement plus courte que prévu. 450 mètres que nous tracerons en fin d'après-midi, plein soleil, avec un sentiment de relâchement et de plénitude qui nous gagna face à la quasi-certitude de finir désormais.


Le début de la Nord de Chauvet

Nico dans les traces de son frère

Une ligne tout à fait sympa !

Mais bien exposée

Enfin la boucle est bouclée lorsque nous retrouvons nos traces de la deuxième montée. Nous avions la banane avant même d'arriver là. Ce matin la remontée de ce Jean Coste, le premier couloir atteignant les 50 degrés à avoir été skié en Ubaye, nous avait déjà excité d'avance au vu de la qualité de neige exceptionnelle qui nous attendait.

Seuls depuis le début !

Bientôt fini pour Nico !

çà y est, prêt pour la dernière !

Sous un ciel éternellement bleu, parsemé de quelques cirrus, avec ce vent de Nord toujours vivifiant, nous allions terminer cette chevauchée que nous avions imaginée. Nico s'élança et je suivi, toujours en prenant le temps d'attendre qu'il ait fini de se faire plaisir. Le sluff est parfois important. Le risque est présent. La pente est homogène, la ligne est magique. Nous maîtrisons nos gestes et sentons que nous sommes en osmose avec la pente, avec notre projet, et entre nous. Les choses déroulent.

La seule chose qui ne déroulera pas sera cette neige toute regelée en bas du couloir. On ne pourra pas mettre les 5 étoiles !

Venga !

C'est l'éclate, la pression retombe

De retour sur les pentes douces

Et voilà, le retour paisible propre au vallon de Mary clôturera cette journée à merveille. Après notre échec cet hiver dans notre tentative d'enchaînement des voies Cambon Francou dans le vallon du Glacier Noir, nous terminions un tour exceptionnel en ski.

Retour à la maison

Un petit peu de skating !

Neige un peu pourrie sur certains appuis

Baskets, le rêve !

Jusqu'au bout !

Exceptionnel pour plusieurs raisons. Il faut réunir tout ça : une face plein Sud à 3400m, souvent en conditions en fin d'hiver puisqu'en Ubaye, la neige ne reste pas toujours tard en saison, donc le Sud raide, en mai, disons que c'est antinomique. Une face nord à 3400, souvent en conditions en mai ; une journée de beau, pas trop chaude et plutôt stable ; un collègue de dispo et motivé ; et que chaque montée et descente se passe bien pour terminer le tout !


En bref toutes ces conditions étaient réunies. L'Ubaye a encore tenu ses promesses. Et Nicolas, après avoir ouvert un nombre hallucinant de premières dans ce massif, a enfin pu skier les classiques du Jean Coste et du Brec de Chambeyron, ce qui le classe enfin dans la catégorie des skieurs Ubayens confirmés de pentes raides. Enfin !


A 17h45 nous retrouvons nos voitures respectives. Nico repart tout de suite pour une réunion professionnelle. Anne redescend d'ici peu du col de Tronchet, nous allons encore profiter d'une nuit dans cette vallée du bout du monde. La vie continue !

Le mot de Nicolas :

Les hauts sommets de la haute Ubaye sont un hymne au ski de pente raide. A part la face nord des Aiguilles de Chambeyron que j’avais pu répétée quelques années auparavant, je n’avais (honte à moi !) jamais skié les « classiques » des sommets emblématiques de l’Ubaye. Une attention particulière est à porter au mot « classique » puisqu’en Ubaye, il désigne toute pente qui a déjà été répétée au moins une fois, tant les skieurs y sont rares…


Me concentrant jusqu’alors sur les pentes vierges de tout passage, il me restait donc à parcourir les lignes classiques autant évidentes qu’esthétiques qui se dessinent sur ces beaux sommets. Dans mes rêves les plus fous, en les enchaînant les unes après les autres.


Cependant, après m’y être penché dessus, un enchainement de ce type me paraissait utopique. Comment réunir en même temps des conditions de neige collante en nord d’altitude (propice au mois de mai), avec des conditions d’enneigement suffisant en sud (plutôt mars) et une journée assez froide pour parvenir à skier en sécurité et en bonne neige à des heures tardives. Un genre de casse-tête météorologique que les dieux Ubayens ne servent sur un plateau qu’à une fréquence décennale, au mieux.


Alors quand cet alignement divin est servi, il faut s’en délecter. Tant pis si cela ne tombe pas au meilleur moment de forme, tant pis si je n’ai toujours pas changé mes skis qui me supplient d’arrêter de prendre les surfaces minérales pour des substances glissantes, tant pis si mon matos est un peu lourd compte tenu de mon niveau physique et du dénivelé qu’il faudra faire, tant pis si je n’y arrive pas, dans tous les cas ; il faut tenter !


Au petit matin les idées sont nombreuses mais le projet est encore modulable au fil de la journée en fonction de nos états de forme. Le plus classe serait quand même de fouler le sommet des deux culmens de la vallée, les Aiguilles de Chambeyron et son voisin Brec homonyme. Il ne nous reste plus qu’à trouver le bon ordre de frappe.


Il vaut mieux commencer par la face nord directe des Aiguilles, cette ligne est la plus dure techniquement et la plus exposée. Elle n’a que rarement été skiée et sa répétition intégralement à ski représente déjà une jolie performance. On presse le pas, la ligne absorbe les rayons du soleil dès son levé mais heureusement le vent de nord et la froideur de ce jour inhibe tout réchauffement. Nous sommes en présence d’une neige de cinéma. Poudre tassée ; la neige à pente raide. Dans ces conditions rares, mais possibles à trouver pour qui patience et plaisir prévalent sur réalisation à tout prix, la pente nous parait moins raide et les virages s’enchaînent même avec un peu de relâchement. « Tout déroule » comme on dit dans le jargon. On a la chance de descendre la face intégralement à ski et sans rappel. Notre première signature est laissée, on s’empresse d’écrire la suite.


La remontée du couloir Jean Coste est débonnaire mais énergivore pour Benjamin qui trace, chacun son tour. De mon côté je n’ai qu’à suivre les empruntes régulières, droite, gauche, droite, gauche. Être deux est un réel avantage pour se partager le labeur du traçage mais être plus nombreux rendrait les descentes plus complexes tant l’épaisseur de neige est parfois anecdotique. De la sortie du couloir au sommet des Aiguilles, dans la face ouest, la neige n’est pas bonne et n’inviterai pas au ski-plaisir. La sortie au sommet aimante nos yeux vers le Brec de Chambeyron et son couloir nord qui clignote comme pour insister sur l’invitation. Notre choix s’oriente vers le projet aux allures de voyage à travers les vallons de Marinet, Chambeyron et Chauvet et délaisse peu à peu l’idée d’exploiter toutes les faces des Aiguilles comme nous l’avions optionnellement pensé. Une fois de plus les conditions sont exceptionnelles et nous permettent de clipper nos chaussures à nos skis adosser à la croix sommitale. Seul un rappel, semble-t-il, obligatoire ponctuera la descente de la face sud via le couloir Gastaldi. Nous abordons la descente à la bonne heure et la neige est transformée à point, comme un gâteau bien cuit.


Au pied de la descente, au petit lac de l’étoile nous n’avons fait que 2000 m de dénivelé et il en reste environ 1600… Je ne conçois pas encore comment mes jambes vont pouvoir me porter si loin. La recherche de la bonne neige est indispensable à bien des égards. D’abord pour le plaisir, composante inéluctable dans ma conception des choses, mais aussi pour le physique. Dans un tel enchainement capitalisant pas moins de 1800 m de descente au-delà de 45°, chaque virage sauté pioche un peu dans notre capital musculaire et l’addition ne fait que croître au fil des heures et des mètres qui s’écoulent rendant la facture onéreuse. Or, il nous faut garder du répondant et nous devons être capable de bander nos muscles au moindre déséquilibre ou changement de neige, qui, sans la pleine possession de nos moyens, nous conduiraient plusieurs centaines de mètres plus bas vers une issue funèbre… Le couloir nord du Brec, bien qu’en neige plus ferme que les précédentes descentes, se laisse monter, puis descendre sans encombre.


La journée prend alors une tournure qui sent bon le vent de la victoire. Les deux montées qui restent sont techniquement bénignes et les deux descentes moins exigeantes. La directe de la face nord de Chauvet est raide et exposée mais courte alors que le couloir Jean Coste est large, moins raide, mais plus long. Nous sommes en plein milieu d’après-midi, en plein mois de mai et la neige, imperturbable, se réchauffe aussi lentement que ce que sa blancheur est éclatante. La seule chose qui semble se réchauffer de manière anormale est l’épiderme de mon visage qui prend une tournure écarlate ; tiens j’ai peut-être un peu oublié de mettre de la crème solaire ! Les deux montées salvatrices sont éradiquées dans une douleur physique régulière que les deux ultimes descentes dans une neige parfaite semblent un peu apaiser. Il n’y a plus qu’un peu de neige -déjà bien avancée dans le processus de fusion- et de gazons verdoyants qui nous séparent du point de départ, douze heures et demie auparavant, à l’église de Maljasset.


Le résumé :


Aiguilles de Chambeyron, face Nord directe, 5.4, 500 m.

Aiguilles de Chambeyron, face Sud, couloir Gastaldi, 5.3, 350 m.

Brec de Chambeyron, couloir Nord, 5.3, 450 m.

Pointe d’Aval ou de Chauvet, couloir nord direct, 5.2?, 200 m.

Brèche Jean Coste, couloir Jean Coste, 5.2, 350 m.


Le 20 mai 2021.

12h30 église Maljasset - église Maljasset.



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